Rédigé par les classes de 5ème sous l’égide de l’auteur Corinne Albaut,les aventures de Wanakat est le récit d’un petit garçon parti d’Ouvéa chercher les ingrédients d’une potion qui permettra à son grand-père, Dadabé, de repousser les moustiques qui envahissent son île.
ECART
Introduction
Le vieux Dadabé
Le vieux Dadabé se grattait la tête, perplexe. Cela faisait bien longtemps qu’il n’y avait pas eu d’invasion de moustiques dans le village. Et voilà que ce matin, le fléau était revenu, sous la forme d’un énorme nuage sombre descendu tout droit du ciel, dans un vrombissement d’ailes furieuses.
Les moustiques !
Il y en avait partout, agglutinés aux arbres, accrochés en grappes sur les murs, formant un tapis noir et grouillant sur le sol. Ils se collaient à la peau des gens, comme des vampires avides de sang.
C’était la panique chez les habitants.
Le vieux chef Dadabé était le seul à pouvoir venir à bout des envahisseurs. Mais pour réussir, il lui fallait deux éléments : la formule magique, et un élixir qu’il devait faire brûler en prononçant les mots.
La formule, il l’avait retrouvée, en cherchant au fond de sa mémoire :
Démons ailés, allez-vous-en !
Partez avec le vent.
On ne veut pas de vous,
Ne revenez jamais chez nous.
Quant à l’élixir, c’était un autre problème.
Il venait de découvrir avec horreur que le flacon était vide. Il n’en restait plus une goutte. Quelle catastrophe !
Il devait trouver une solution très vite, sinon le village allait être dévasté, et de plus, Dadabé perdrait tout son prestige.
La recette de l’élixir magique était écrite dans son grand livre secret. Il fallait, pour la réaliser, huit ingrédients, provenant de huit lieux différents.
Hélas, il n’avait plus la force de courir les îles pour les rassembler.
Il appela son petit fils Wanakat, pour le charger de la mission :
— Wanakat, tu es grand maintenant. C’est à toi de remplacer mes pauvres jambes usées. Voici la liste des ingrédients nécessaires à la fabrication de l’élixir anti-moustiques. A toi de partir à leur recherche. Tu as huit jours pour te les procurer :
De Poum, tu rapporteras une porcelaine fluorescente.
De Kaala Gomen, une pierre ardente
De Houaïlou, trois poils de la roussette blanche
De Canala, une mandarine bleue
De Maré, une goutte d’essence du santal de l’îlot solitaire
De Wé, une noix du cocotier bibiche
De Chépénéhé un tronçon d’igname serpent
D’Ouvéa, une plume de la perruche d’or
Il lui glissa la liste dans la main, et lui passa autour du cou un talisman pour que la chance l’accompagne :
— Voici la pagaïe magique qui t’aidera à voyager d’un lieu à l’autre. Ne la perds surtout pas, et à présent, suis-moi.
Dadabé mena son petit-fils Wanakat vers le grand banian à la sortie du village. Il l’aida à pénétrer dans le fouillis de racines où il se laissa glisser, la main gauche serrée sur la petite pagaïe qui allait le guider le long du fleuve de bois souterrain jusqu’à Poum, première étape de sa quête.
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Chapitre 1 | Boaouva Kaleba – Poum
La porcelaine fluorescente
Wanakat se retrouva au pied d’un banian, qui ressemblait à celui qu’il venait de quitter. Autour de lui, il vit des collines rouges, des niaoulis. Tout était différent d’Ouvéa. Il sortit de la forêt et se retrouva au bord d’une route, près d’une rivière. Sur un panneau était écrit Nehoue mais il ne savait pas de quel coté se trouvait Poum. Il entendit des bruits de pas derrière lui et se retourna. Il vit un homme.
— Bonjour, dit l’homme.
— Je m’appelle Wanakat. Je suis d’Ouvéa. Connaissez-vous la direction de Poum ?
— Suis-moi, je vais t’y conduire.
Ils rentrèrent encore dans la forêt mais Wanakat s’aperçut très vite qu’ils repassaient aux mêmes endroits.
— Pourquoi tournons-nous au même endroit ? demanda Wanakat.
— Pour aller à Poum, il faut que je fasse mon pouvoir magique, répondit l’homme.
Il plongea la main dans son sac à dos et en ressortit un bout de bois. L’homme tenait le bois par un bout et demanda à Wanakat de le tenir par l’autre bout et de fermer les yeux. L’homme chantonna doucement la chanson de son pouvoir magique. Wanakat ne comprenait rien des paroles mais ils s’envolèrent dans les airs.
— Où sommes-nous ?
— Je ne peux pas te le dire, mais surtout n’ouvre pas les yeux.
Après un long moment, l’homme dit :
— Tu peux ouvrir les yeux maintenant, nous sommes arrivés à Poum, à la tribu de Tiich. En bas de la colline, tu trouveras la maison du chef. Wanakat ouvrit les yeux. Il était à Poum, mais seul. L’homme avait disparu.
— C’est pas possible ! Il y a un moment, je lui parlais encore !
Il descendit le sentier qui menait chez le chef. Un jeune garçon l’aperçut, le conduisit au chef. Wanakat lui présenta son geste coutumier, un paréo et une monnaie kanake que Dadabé lui avait préparés pour chacune de ses destinations.
— Pouvez- vous m’indiquer l’endroit où je pourrais trouver une porcelaine fluorescente ?
Le chef répondit :
— on dit que cette porcelaine se trouverait peut-être là-bas, au large. Mais je vais demander aux vieux.
Le lendemain, le conseil des anciens se réunit. Les vieux, qui avaient entendu parler de cette porcelaine, n’étaient pas tous d’accord sur le lieu où elle se trouvait. L’un disait qu’elle se trouverait à Belep, à un endroit appelé Païromé, gardée par des lutins jaloux et méchants. Un autre disait que, d’après une légende, un vieux bagnard l’aurait cachée au fond de la mine Pilou, entre Arama et Ouégoa. Un autre encore prétendait que la porcelaine se trouvait sur un des nombreux îlots au large de Poum, mais lequel ? Le chef prit alors la parole et dit :
— Il y a longtemps, mon grand-père m’a indiqué où se trouve cette porcelaine. Elle est là-bas à Tia, dans le domaine des morts qu’on appelle Shaaviluc dans la langue d’ici.
Mais on ne peut pas y aller comme ça ! Même si on autorise Wanakat à y aller, il faut d’abord lever l’interdit du lieu. Ensuite il doit boire la potion qui lui permettra de voir et de respirer sous l’eau s’il veut ramener la porcelaine.
Wanakat eut l’accord du chef et des anciens pour se rendre à Tia. Dans l’après-midi, le chef l’emmena au point de vue de Poum qui domine le village. Il lui montra les différents îlots et au loin là-bas, derrière Baaba, l’îlot Tia.
— Tu trouveras la porte du domaine face à la grande case de Neba. Dans l’eau, il y a un grand caillou blanc. C’est à cet endroit que tu devras attendre.
— Attendre quoi ? demanda Wanakat.
— Attendre que la porte s’ouvre. Mais elle ne s’ouvrira que s’il y a un décès à Poum.
L’esprit du défunt passera par cette porte pour rejoindre le domaine.
Wanakat eut peur.
— Quand la porte s’ouvrira, il y aura des remous à la surface de l’eau. C’est à ce moment qu’il faudra descendre et faire vite avant qu’elle ne se referme. Pour le moment, il te faut boire la potion. Je t’emmène chez le guérisseur.
Peu de temps après, Wanakat avait avalé la potion amère qui lui permettrait de descendre sous l’eau. Le chef et les anciens lui dirent :
— Nous venons de lever pour toi l’interdit du domaine des morts. Tu peux y aller… Mais fais attention ! Si tu échoues, nous ne pourrons rien faire pour toi.
Alors Wanakat dut se rendre à Shaaviluc.
Pour ce faire, il lui fallait traverser la baie de Boat Pass et trouver au-delà du récit l’îlot Tia.
Il se construisit un radeau en bambou et commença sa pénible traversée. Shaaviluc était le lieu du passage des morts. A marée basse, des dalles de coraux s’ouvraient au passage des esprits vers Le pays d’en bas.
Cependant Wanakat avait aussi appris que la porcelaine fluorescente était en possession du gardien de ces lieux, Ciixa.
Lorsque Wanakat arriva sur l’îlot, il arrima son radeau et attendit… attendit.
Tout à coup, un claquement retentit. Un mort cherchait le passage. Le jeune garçon nagea vers la porte aux esprits. Il s’y engouffra. Une lumière resplendissante lui permettait de voir dans ce tunnel de corail comme en plein jour.
Wanakat avança prudemment.
Soudain, il aperçut une énorme et monstrueuse silhouette. C’était Ciixa le gardien, le poulpe géant. Ses longs tentacules s’agitaient dans tous les sens. Heureusement pour notre héros, il semblait être endormi. Le garçon aperçut la porcelaine accrochée à l’un de ses longs bras gluants. Wanakat n’avait pas l’intention de le réveiller car il risquait de finir son voyage dans l’estomac de l’énorme bestiole.
Il s’en approcha sur la pointe des pieds, mais un autre claquement retentit annonçant l’arrivée d’un défunt. Ciixa ouvrit un œil, Wanakat eut alors l’idée de chanter une petite comptine qu’il avait appris avec des enfants de Poum, de Belep, d’Arama et du Vanuatu sur la plage, quand il construisait son radeau :
Mo ta héré, Mo ta héré, pali oli pali oli, tchutchuplé tchutchuplé !
Il la chanta doucement, c’était presque un sifflement à l’oreille du monstrueux poulpe.
Ciixa se rendormit. Wanakat s’empara de la porcelaine, il fallait faire vite. Le passage était en train de se refermer. Il se dirigea vers la sortie et récupéra le radeau.
Arrivé à la plage de Tiich, le jeune garçon partit à la recherche du Banian à Grande Vitesse. Il le trouva fier et majestueux, se dressant de toutes ses branches, près de Nénon.
Le petit garçon toucha la pagaie magique donnée par son grand-père Dadabé tout en ayant une pensée pour lui.
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Chapitre 2 | Baganda – Poum
La pierre ardente
Quand Wanakat sortit du banian, il vit qu’il était à Gomen situé à une cinquantaine de kilomètres de Poum. Il arriva près d’un champ de maniocs. A quelques pas de là, il aperçut une vieille femme courbée vers le sol. Elle se relevait lorsqu’il lui fit signe, en guise de bonjour. Son regard devint sombre, elle s’écria :
— Qui es-tu ? Que fais-tu dans mon champ ? Tu n’es pas d’ici ?
— En effet, mais n’ayez pas peur grand-mère, je cherche simplement le chemin qui mène à la tribu de Païta. Je suis d’Ouvéa et je voudrais rencontrer le chef.
J’ai besoin de conseils. Je suis envoyé par mon grand-père, le vieux Dadabé.
— Le vieux Dadabé ! Je l’ai bien connu, un homme drôle et généreux ! Viens, suis-moi, je vais te mener devant le chef.
Ainsi chargés de son panier de maniocs, ils firent chemin ensemble, se racontant beaucoup d’histoires. Mais ce sera pour une autre fois.
Elle l’emmena devant le chef, figure impressionnante, il était torse nu, simplement vêtu d’un bagayou, tenant à la main son bâton sculpté, vieilli par les années de pouvoir. Wanakat n’eut pas peur et s’approcha, à la main un bout de manou et une monnaie kanak que son grand-père lui avait remis pour ce moment de rencontre. Il déposa son geste devant le chef et se présenta.
Il fut surpris lorsque le chef lui dit :
— Wanakat, je t’attendais, j’ai vu le vieux Dadabé en rêve, il m’a dit que tu viendrais aujourd’hui et que tu aurais besoin de mon aide. Je te l’accorde.
Alors Wanakat se sentit mieux et expliqua l’objet de sa venue : son île était envahie de moustiques, pour fabriquer la potion anti-moustiques, le vieux grand- père avait besoin de plusieurs ingrédients dont la pierre ardente qui se trouverait, ici, à Gomen.
Le chef lui confirma que la pierre ardente existait bien selon les dires de son grand-père, mais, lui, ne l’avait jamais vue. Personne n’avait le droit de se rendre en ce lieu sauf pour une raison juste. Il pensa que c’était le cas et ne pouvait rien refuser à son vieil ami, Dadabé qui lui-même un jour l’avait aidé. Il s’en souvenait. Il lui dit qu’elle était posée sur un arbre et précieusement gardée par un lézard gigantesque. Il lui dit aussi que pour approcher la pierre magique, il fallait endormir le gardien à l’aide d’une petite flèche qu’il possédait lui-même, transmise par son père. Il lui indiqua le chemin et lui remit une petite sarbacane, et une seule fléchette. Il veilla cette nuit-là et écouta le vieux chef plein de sagesse.
Wanakat partit à l’aube. De nombreuses gouttelettes tapissaient le sol et couvraient une multitude de petites fleurs sauvages qui se recroquevillaient encore endormies. Il frémissait, mais le courage lui fit accélérer l’allure. Il arriva à la croisée de chemins, Son instinct lui commanda de tourner à gauche. De bonne humeur, il traversa une clairière et aperçut un troupeau d’abeilles déjà au travail. Il eut envie de goûter à leur miel mais le temps lui manquait. Peut- être au retour s’il passait à nouveau par là.
Soudain, il resta pétrifié : un cochon sauvage aux dents énormes, noir comme du charbon, le groin menaçant encore plein de terre le fixait du regard. Que faire ? Fuir ? Pas question. Il fallait réagir vite avant que celui-ci ne lui fonce dessus et le blesse, sa mission serait compromise. Alors, il lança un cri si perçant que le cochon prit ses pattes à son cou et s’enfuit sans demander son reste, Quel courageux !
Il atteignit enfin la grande forêt, les arbres se resserraient. Une atmosphère étrange le mit mal à l’aise, Le danger l’attendait. Le sommet était proche, il ne restait que la falaise à escalader. Une pensée lui effleura l’esprit : Etait-elle encore là ? Un souffle d’air lui parcourut le dos. Il leva le nez, de gros nuages gris sombre menaçaient le ciel quand des éclairs les illuminèrent. La tempête avançait, Il s’inquiéta car il avait peur d’être retardé. Il lui fallait rapidement franchir ce pan de roches raide mais heureusement escarpé, il pourrait s’agripper facilement.
Cependant, la pluie rendait l’ascension difficile, Son grand-père lui avait dit un jour que la pluie provenait d’un esprit qui pleurait mais qu’elle engourdissait les bêtes de la forêt. Il pensa au lézard qui dormirait plus longtemps, Malgré tout, le vent le glaçait, il manqua à plusieurs reprises de tomber mais ses pieds et ses mains se fixaient comme une araignée géante. Une pierre dévala, il l’esquiva de justesse.
Le sommet approchait, une angoisse lui serra le cœur : il palpita. En effet, il pensa qu’il ne fallait pas manquer sa cible, une seule flèche et surtout qu’il ne fallait pas blesser le gardien des lieux, ce n’est pas à lui qu’il en voulait. Sa seule intention étant de prendre cette pierre qu’il gardait si précieusement. Le doute s’installa plus intensément : était-elle encore là ? Personne n’avait pu le lui assurer.
Wanakat était à présent tout proche du lieu. Une pensée pour son grand-père qui lui avait fait confiance. Cela l’encourageait. Il était fatigué. Quelques gouttes tourbillonnaient dans l’air froid. Il appréciait la fraîcheur, le regard silencieux.
Il marcha sur un épais tapis de branchages qui crissait sous ses semelles. Il sentit une forte vibration.
A ce moment là, une lumière douce s’étala, un calme apaisant surprit Wanakat.
Ses yeux s’écarquillèrent : des milliers d’ailes multicolores tournoyaient au sommet d’un arbre attirés par un champ magnétique. Son cœur se mit à cogner dans sa poitrine. Ses yeux clignèrent. Elle était là. Là, tout près. Le gardien aussi. Il réfléchit rapidement à l’attitude à adopter. Lentement, léger comme le vent, chaque pas effleurant le sol, il arma sa sarbacane et d’un geste précis l’activa. Elle se planta entre les deux yeux. Il fallait faire vite, le poison n’agissant que quelques secondes au risque de tuer la bête plus profondément endormi.
Il se hissa sans difficulté au sommet. Il était agile et souple, l’habitude de grimper aux cocotiers, chez lui. Tout près du but, une hésitation l’envahit. Si elle était lourde, comment allait-il la descendre ? Il s’accrocha à la dernière branche, un léger frémissement poussé par le vent écarta les papillons, il posa ses mains sur les bords. Scintillante, il la prit délicatement et fut étonné de sa légèreté. Sans tarder, il posa une autre pierre qu’il avait ramassée sur son chemin en espérant que le gardien ne s’aperçoive pas de la supercherie. Il n’avait plus le choix, il fallait quitter les lieux le plus rapidement possible. La bête allait se réveiller. Il remarqua, chose curieuse, que les papillons tournoyaient à nouveau. Cette pierre avait-elle, elle aussi, un pouvoir ? Il n’avait plus le temps de s’en préoccuper.
Un grondement se fit entendre, il fallait se presser, le temps se gâtait à nouveau, mais le cœur rempli d’une étrange sensation, le rendait heureux et fier.
Il avait réussi. Son grand-père serait lui aussi fier de son petit-fils.
Wanakat relâcha sa pagaie magique et se laissa mollement glisser sur un épais tapis d’herbes et de feuilles mortes. Il observa les alentours et fut surpris de ne pas voir un banian mais quatre autour de lui ! Par lequel était-il arrivé ? Par lequel allait-il devoir repartir ? Encore un mystère à résoudre avant de partir.
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Chapitre 3 | Dö Mwà – Canala
La mandarine bleue
Le jeune garçon vérifia qu’il avait bien sur lui tous les ingrédients courageusement dénichés jusqu’à présent. Maintenant qu’il était arrivé en pays Xârâcüü, il lui fallait poursuivre sa quête vers la mandarine bleue.
Il traversa la tribu de Mwârögu sans rencontrer personne. Tout était d’un grand calme, les oiseaux seuls sifflaient leur air préféré. Il parcourut plusieurs sentiers pendant un long moment. Désespérant de trouver quelqu’un, il décida de s’enfoncer dans la mangrove. Il avança difficilement dans la boue qui retenait ses pieds. Il faillit tomber plusieurs fois, il s’écorchait aux racines saillantes et se raccrochait aux branches pendantes.
Soudain il crut entendre des rires et des chants. Plus il progressait dans le fouillis des palétuviers, plus les rires devinrent forts et les chants clairs. Il découvrit un attroupement de femmes et d’enfants joyeux, il s’arrêta un instant. Il les vit se pencher et enfoncer leurs mains dans la boue visqueuse pour en ressortir des crabes énormes, bleus, dont il fallait vite lier les grosses pinces au risque de se faire pincer soi-même.
— Bonjour, leur lança-t-il, intimidé à la fois par la grosseur des crabes et par le nombre de personnes.
Tous les yeux se fixèrent alors sur lui. Une vieille femme, extrêmement maigre, recouvertes de rides, habillée comme un épouvantail de plumes et de feuilles, s’avança vers lui. Sa bouche ouverte laissa apparaître ses rares dents jaunies :
— Bonjour, garçon. Que veux-tu ?
Les yeux malicieux et le ton de la voix chaleureux de la vieille l’incitèrent à se rapprocher et à se confier :
— Je m’appelle Wanakat, je viens d’Ouvéa. Mon grand-père, Dadabé, m’envoie ici pour trouver la mandarine bleue qui lui permettra de confectionner la potion magique qui sauvera mon île de l’invasion des moustiques.
— Viens, Wanakat, suis-moi, je suis mémé Nanîî, je vais t’aider mais tu vas d’abord te laver et te nourrir. Tu es aussi maigre et crotté qu’un ver de terre.
Ravi, il l’accompagna. Elle lui dit que ce jour était un grand jour de pêche : les crabes pour les femmes, les poissons pour les hommes. La lune, la marée, tout était réuni pour une grande pêche. Il voulut l’interroger sur la mandarine bleue mais elle resta silencieuse.
Après le repas de crabes et d’ignames, elle le renseigna enfin :
— Mon bonhomme, tu vas remonter le long de la cascade de Ciù. Ensuite, tu traverseras la montagne pour atteindre Emma. C’est là que tu iras trouver le chef qui te dira comment obtenir ce que tu cherches.
— Merci beaucoup, Mémé Nanîî.
— Tiens, prends ce caillou avec toi, il est magique, tourne-le vers le ciel quand tu as besoin de passer un obstacle.
Wanakat s’engagea dans le chemin qui longeait la cascade. Il était impressionné de voir autant d’eau déferler sur les cailloux. A Ouvéa, c’était tellement difficile d’avoir de l’eau douce.
Au bout de sa pénible ascension, sous un soleil de plomb, il pensa se baigner. Une sorte de piscine d’eau limpide et fraîche semblait n’attendre que son plongeon. Mais il n’avait pas le temps.
Il admira une dernière fois la vue sur la baie de Canala, la terre rouge des montagnes, le bleu éclatant du ciel, le scintillement de la mer et le vert profond de la végétation : un vrai festival des couleurs !
Peu loin de là, sa marche fut stoppée par un immense ravin creusé par les pluies. Au fond, il crut distinguer la forme d’un squelette, peut-être un animal avait-il chuté, peut-être un homme… Il préféra ne pas chercher plus longtemps et sortit le caillou de mémé Nanîî. Quelques secondes plus tard, ses pieds touchaient la terre de l’autre côté et il pouvait poursuivre sa route sans encombres.
Il parvint à la paisible tribu d’Emma assez rapidement. Un petit garçon, perché dans un arbre, au bord de la route, l’accompagna, sans aucune parole, jusqu’à la case du chef. Celui-ci était occupé à limer sa sagaïe sur une pierre. Ses bras musclés semblaient ne pas se fatiguer, il leva son long visage vers la porte.
— Pardon de vous déranger, chef, commença Wanakat.
Le chef invita le jeune garçon à s’asseoir et à exposer sa demande. Wanakat présenta son geste coutumier et raconta son histoire. Le chef hocha plusieurs fois la tête, ne prononça pas beaucoup de mots et sortit de la case, laissant Wanakat un peu désemparé.
Ce dernier entendit retentir le son sourd de la toutoute. Puis des bruits de pas, des éclats de voix, une langue qu’il ne comprenait pas… Le chef retourna dans la case avec plusieurs hommes qui dévisagèrent Wanakat. Alors le chef prit la parole :
— Tu trouveras la mandarine bleue à Nüüya, en haut de la montagne, le mandarinier sacré qui porte ce fruit est facilement reconnaissable. Ton grand-père t’aidera. Quand tu cueilleras le fruit, fais-le avec tout l’amour que tu portes à ceux que tu veux aider, il deviendra bleu. Si ce n’est pas le cas, il deviendra rouge et apportera le malheur et la destruction sur le pays.
Le garçon suivit le chef et ses sujets jusqu’à l’entrée d’un immense verger de mandariniers. Là le chef s’arrêta et posa délicatement une fleur coupée sur un rocher :
— C’est pour dire à nos ancêtres de te préserver pendant ta recherche.
Ils refermèrent la porte du verger. Wanakat resta planté, le cœur battant et l’estomac noué. Les mandariniers chargés de leurs plus beaux fruits l’entouraient à perte de vue, les pas de Wanakat le dirigeaient toujours plus haut vers le sommet. L’odeur sucrée de chaque fruit lui donnait envie d’en goûter un.
Mais si c’était le mandarinier sacré ? Si la mandarine devenait rouge ? Il fallait d’abord remplir sa mission. Il continua, marcha, marcha, puis la fatigue le gagna, tellement qu’à peine arrivé au sommet, il s’évanouit.
Wanakat arriva dans le monde des rêves et rencontra son grand-père qui lui parla :
— Dirige-toi vers la lumière et tu la trouveras…
Lorsqu’il rouvrit les yeux, juste face à lui, une lumière inhabituelle le gêna.
Il se releva. Le mandarinier était là, flamboyant, cerné de lumière. Un seul fruit à la peau orange et brillante pendait à sa plus haute branche. Wanakat s’approcha de l’arbre et y grimpa. Il s’installa en dessous de celle qui portait le fruit. Le moment était arrivé. Sa main ne tremblait pas. Il la tendit vers la mandarine et concentra toutes ses pensées vers son île et ceux pour qui il luttait. La mandarine se détacha aisément, la couleur orange disparut, prit des teintes différentes puis vira au bleu. Il avait la belle mandarine bleue entre ses mains ! Wanakat sourit. Il dégringola de l’arbre, dévala la pente du verger.
A sa sortie, le petit garçon muet l’attendait et lui fit signe de le suivre. Ils s’installèrent sur une embarcation de bambous qui les emmena en peu de temps de la rivière Negropo vers la baie de Canala et sa mangrove. Là, de retour à Mwârögu, Wanakat se rappela son chemin jusqu’au Quatre Banians. Il ne savait toujours pas par lequel repartir. Il réfléchit et écouta. Il reconnut l’air sifflé par les oiseaux. Il s’aperçut en levant la tête qu’ils étaient tous perchés sur le même banian. Il choisit donc celui-ci, s’assit confortablement dans ses racines et pressa son talisman.
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Chapitre 4 | Taremen – Maré
L’essence du santal solitaire
Wanakat se retrouva dans une grotte comme un enfant perdu. Il avançait en tâtonnant, mais bientôt une lumière vive l’attira. C’était un trou assez large. Il se dirigea rapidement dans cette direction. Wanakat déboucha dans une grande cocoteraie, puis sur une plage ensoleillée apparemment déserte. La marée remontait.
Au bout de la plage il vit un homme sortir sa barque de l’eau et la tirer vers les faux tabacs bordant le rivage. Ne connaissant pas la langue de ce pays, il lui fit de grands signes avec les bras, et courut vers lui. Il s’aperçut alors que c’était un vieil homme aux longs cheveux blancs qui revenait de la pêche. Il était grand et robuste et portait juste un manou autour de sa taille. Wanakat l’aida à remonter sa barque sous les grands arbres aux troncs noueux. Aucun mot prononcé, ils soufflaient fort en tirant la barque. Wanakat était inquiet : comment allait-il expliquer au vieux le but de sa venue sur cette île inconnue ?
— Alors, jeune étranger ? Comment es-tu arrivé par ici ? Je ne vois ni pirogue qui t’a laissé, ni personne qui t’a accompagné.
Le vieux pêcheur faisait maintenant face à Wanakat, les bras croisés sur sa puissante poitrine, et le regardait en silence jusqu’au fond des yeux. Panique. Il lui parlait, il voyait nettement ses lèvres bouger, son air interrogatif, légèrement soupçonneux, et une voix grave sortir de sa bouche. Mais… je comprends bien tout ce que dit ce Vieux !
— Bonjour Grand-père ! s’écria-t-il en s’élançant déjà vers le vieillard. Mais vous parlez notre langue Iaii ? Comme je suis content de rencontrer à Maré quelqu’un de mon…
— Tu te trompes, jeune étranger. Je m’appelle Pa Maï et je suis de la tribu de Hnawayac. Cette plage se trouve dans la baie Dua i Cara, au nord-ouest de l’île de Maré. Tu viens donc d’Ouvéa si j’ai bien compris ?
Le vieil homme comprenait-il donc ce que lui Wanakat racontait ? Il regardait Wanakat avec un air curieux et sa voix devenait plus gentille.
— Oui, Grand-père, je viens d’Ouvéa, et… c’est une longue histoire. Moi c’est Wanakat et mon cher Dadabe m’a…
— Je sais pourquoi tu es ici à Maré, interrompit le vieux pêcheur. Ton grand-père m’a parlé en rêve cette nuit. Par contre je me demande comment tu as fait pour venir jusqu’ici. Ca doit être encore un fameux tour de ton vieux Dadabe. Alors comme ça, tu veux rencontrer notre petit chef et lui demander ton chemin vers le santal de l’îlot solitaire ?
— Oui, Grand-père. Peux-tu s’il te plaît me conduire jusqu’à votre petit chef ?
— Je viens de rentrer de la pêche, et j’attendais ton arrivée avant de revenir à la tribu.
Viens, ne perdons pas de temps. Notre petit chef t’attend.
Ils marchèrent quelque temps en silence sous les bois qui débouchèrent sur une large route. Wanakat fut étonné de passer devant des maisons ouvertes mais vides :
— Les gens travaillent aux champs dans la journée, ils ne rentrent que vers le soir. Les enfants sont à l’école, au collège, et beaucoup restent à l’internat. Le Chef est chez lui, suis ce sentier, et au bout tu trouveras une grande maison. Là tu trouveras notre Chef.
Wanakat suivit les instructions de son vieux guide et trouva sans peine la chefferie entourée d’un muret de pierres. Il était fasciné par la taille de la case ronde avec le toit presque aussi haut qu’un poteau électrique en béton. Elle était en feuilles de cocotier. Une longue flèche faîtière était piquée au sommet du toit pointu : en bois sculpté, une forme de visage au milieu, une pointe en forme de flèche la terminait au bout.
— La flèche faîtière indique la case du chef ; elle sert aussi à la protéger, dit un jeune homme de Hnawayac à Wanakat. C’est comme un objet précieux et sacré pour les gens de Maré.
La porte, encadrée par deux imposants chambranles travaillés, était basse même pour sa taille. Wanakat savait que c’est pour le visiteur : il doit montrer le respect et l’humilité envers le petit chef. Il se baissa donc pour entrer. Dans l’ombre, il trouva le petit chef assis en tailleur sur une natte, et posée à côté de lui une canne en bois sculpté. Wanakat disposa sur la natte devant lui un manou, une monnaie kanak et un billet de mille francs, puis il recula et attendit.
— Bienvenue à Nengone, Wanakat. Je suis au courant de ta mission. Dodon est notre ilot solitaire au large de Maré. Oui, beaucoup de santal pousse sur cet îlot.
— Mais alors comment je vais faire pour reconnaître le bon arbre ?
— Mon père me disait autrefois qu’un esprit garde le lieu, et ce santal en particulier.
— L’arbre que tu cherches est à peu près de ta taille. Son tronc fin avec ses branches dirigées vers le ciel est reconnaissable avec des taches blanches et ses feuilles sont particulièrement petites. Tu entendras les bois-de fer, et surtout tu reconnaîtras le santal à son odeur très particulière. Mais voilà : il faudra que tu le trouves l’esprit gardien. Lui seul pourra t’indiquer lequel est l’arbre que tu cherches, il te donnera cette essence précieuse réclamée par ton Dadabe. Il te mettra à l’épreuve et tu devras accepter. Il faudra être rusé et courageux.
Wanakat sortit de la chefferie plein d’inquiétude. Quelles épreuves allait-il affronter ? Comment arriver jusqu’à l’îlot solitaire ?
— Par ici, Je vais te montrer la pirogue qui t’emmènera jusqu’à l’îlot de Dodon.
Le vieux pêcheur qui l’avait conduit jusqu’ici lui prit la main.
— La mer bouge un peu, mais le vent souffle du bon côté, tu vas y arriver rapidement. Mais tu y vas seul. Mon travail s’arrête ici. Salue bien ton Dadabe de ma part. Bon courage ! Bon vent ! Et n’oublie pas : tu ne dois pas crier sur l’îlot de Dodon !
Une pirogue, une bonne pagaie, Wanakat connaissait bien. Il se revoyait avec Dadabe et leurs longues parties de pêche au large des côtes d’Ouvéa : Dadabe plongeait et piquait les poissons, son rôle était de manœuvrer la pirogue. Pour lui c’était comme un jeu.
Il fut obligé de faire le tour de l’ilot solitaire pour chercher un endroit où accoster. Il arriva sur une petite plage abritée surmontée d’une falaise ; un grand banian poussait là-haut. Epuisé, il se reposa quelques instants pour reprendre ses forces. Puis il entreprit d’escalader la falaise. Après bien des efforts, il arriva au sommet et devant lui s’ouvrit une grotte. C’était une petite grotte sombre. Des dizaines de crabes de cocotier géants, d’un gris bleu métallique, barraient l’entrée. Les grosses carapaces s’entrechoquaient avec des craquements terribles. Menaçants les crabes balançaient leurs pinces énormes dans toutes les directions : les gardiens de cette grotte. Wanakat s’avança prudemment sur le côté sans faire face aux crabes et vit des inscriptions sur les parois du rocher ; il put lire :
Parle à l’oreille des crabes et ils me feront passer le message
Wanakat commença à expliquer le but de son voyage en s’adressant aux crabes, quand soudain une lumière blanche surgit du fond de la grotte et se dirigea vers lui. Il frissonna de peur : la vieille fée se tenait maintenant presque devant lui. Avec le visage recouvert de rides, ses cheveux blancs et sa petite taille, elle était vêtue de feuilles de cocotier et fixait Wanakat. Le jeune garçon murmura en tremblant légèrement :
— Vieille fée, je vous offre ce manou et une monnaie kanak. Je dois rapporter de l’essence de bois de santal de cet îlot solitaire. Retok Wahnid m’a dit que vous seule pouvez m’aider. Je suis envoyé par mon grand-père Dadabe. Il a besoin de cette essence pour…
— Je sais, les moustiques sur son île là-bas. Je vais t’aider. Mais d’abord tu devras trouver dans le lagon mon tricot rayé aux couleurs de l’arc-en ciel. C’est lui qui te guidera vers la forêt jusqu’à l’arbre que tu cherches. Tu entendras le bruit des bois de fer, et tu sentiras le parfum dans l’air. C’est lui aussi qui t’aidera à trouver la bague au fond du lagon, et tu dois me la rapporter. C’est la bague magique de ma pire ennemie, la sorcière Paace. C’était son bien le plus précieux. Elle l’a perdue, et croit que c’est moi qui lui ai volée. Et depuis, pour se venger, elle pille ma réserve de santal !
Un tricot rayé aux couleurs de l’arc-en ciel. Une bague magique égarée au fond du lagon. Wanakat était très inquiet : réussira-t-il ces épreuves ? Le temps passait si vite…
Il pensa très fort à Dadabe et à son île envahie par les maudits moustiques : il ne devait pas se décourager.
Il marchait sur la plage en cherchant des indices. Il remarqua dans le sable une longue trace en profondeur dirigée vers la mer. Au passage, il saisit une épuisette au milieu de matériel laissé par des pêcheurs. Wanakat entra dans l’eau fraîche parfaitement calme ; elle était peu profonde. Devant lui, la surface de l’eau était comme ridée, puis légèrement agitée de petites vagues. Il s’avança doucement sans remuer l’eau. Puis il vit nettement le tricot rayé aux couleurs éclatantes nager au fond de la mer transparente.
Le serpent, long comme son bras, se dirigea vers lui et commença à tourner lentement autour de lui. Wanakat eut un mouvement de panique et cria. Le serpent disparut aussitôt. Wanakat se calma petit à petit, et se rappela les paroles de son guide : sur Dodon, il ne faut pas crier. Wanakat se mit alors à nager dans le lagon. Il plongeait de temps en temps en regardant à droite et à gauche et finit par repérer le tricot rayé qui revenait vers lui. Il tourna lentement autour du jeune garçon, puis se dirigea vers un gros rocher. Wanakat se mit à le suivre en nageant vite. Le serpent se mit à tourner autour du rocher, plongea sa tête dans un creux et recommença sa ronde autour du rocher. Wanakat manqua d’air ; il remonta à la surface, reprit une bonne bouffée d’air et replongea au-dessus du rocher. Il vit quelque chose scintiller dans un trou, et même quand les nuages cachaient le soleil, l’objet brillait de mille feux. Il plongea sa main et récupéra la bague. Tout de suite il l’enfila à un doigt pour ne pas la perdre.
Le tricot rayé traînait maintenant au fond de l’eau, comme s’il allait s’endormir. Wanakat replongea et le puisa sans difficulté. Il s’agita dans tous les sens mais Wanakat était rassuré : l’épuisette était profonde. La vieille fée gardienne de l’îlot solitaire et du bois de santal remercia Wanakat de son travail. Elle lui donna alors un flacon en cristal de forme ovale taillé de mille facettes reflétant la lumière :
— Tiens, prends ce flacon. Appuie-le penché au pied de l’arbre où te conduira mon tricot rayé. Coupe légèrement l’écorce et tu pourras recueillir l’essence du bois de santal. »
Il posa l’épuisette par terre et libéra le tricot rayé qui devait le guider. Il se mit à le suivre, quelquefois il était obligé de courir et lorsque le serpent disparaissait, il suivait sa trace par terre. Wanakat reconnut au loin, entouré de bois-de fer, l’arbre qu’il recherchait décrit par le petit chef.
Il avançait rapidement vers son but, quand un sifflement étrange lui frappa l’oreille. Brusquement d’énormes lianes fouettent l’air devant, derrière lui et s’abattent tout autour de son corps. La sorcière Paace se vengeait… Wanakat se débattait de toutes ses forces, mais il n’avançait plus, les lianes le serraient tellement qu’il se sentit étouffer. Il allait tomber quand soudain il reconnut la voix de son grand-père :
Sers-toi de ton talisman, Wanakat, vite !
Le jeune garçon rassembla ses forces et réussit à attraper le talisman avec sa main droite. Aussitôt les lianes se relâchèrent, s’ouvrirent et se replièrent, libérant Wanakat. Il se mit aussitôt à courir vers le santal maintenant tout proche. Il pouvait entendre le bruissement des bois-de fer. Et surtout un parfum léger et doux flottait dans l’air et rassurait Wanakat : il arrivait à son but. Il appuya son flacon au pied du santal et juste au-dessus entailla légèrement l’écorce du tronc élancé. Quelques gouttes dorées et odorantes tombèrent lourdement au fond du flacon. Et l’entaille sur le tronc se referma aussitôt.
Wanakat devait se dépêcher maintenant. Il courut vers la falaise surmontant la petite plage où il avait accosté. Le grand banian était bien là. Wanakat s’installa avec soulagement dans un creux entre les grosses racines et prit dans sa main la pagaie magique accrochée à son cou donnée par son Dadabe. La prochaine étape de son périple était l’île de Lifou.
ECART
Chapitre 5 | Havila – Lifou
La noix du cocotier bibiche
Quand il reprit ses esprits, il sut tout de suite qu’il était sur la plage de Luecila à Lifou, dont on lui avait tant parlé. De cette magnifique plage, il voyait des cocotiers à perte de vue. Mais, surtout des arbres de tous les verts, et quelques chemins allant aux cases, ou serpentant sur la colline. C’était un endroit accueillant, superbe, avec des oiseaux qui chantaient joyeusement sur un grand manguier. Quand Wanakat toucha le sable, il était fin et blanc. Il demanda aux femmes du village qui tressaient des nattes devant leurs cases où se trouvait leur chef. Elles lui indiquèrent sa case, et il s’y rendit aussitôt.
— Bonjour, dit Wanakat, et excusez-moi, vous êtes bien Haudra, le petit chef de la tribu de Luecila ?
— Bonjour, oui, mais qui es-tu? D’où viens-tu? demanda le chef, tu n’es pas de chez nous, alors serais-tu de la tribu de Qanono ?
— Non, répondit Wanakat, je suis d’Ouvéa, et je viens demander votre aide. Les moustiques font des ravages sur mon île, et je suis chargé de ramener les ingrédients nécessaires pour faire un remède qui les chassera. Je dois donc, ici, trouver une noix de coco du cocotier bibiche.
— D’accord, acquiesça le chef. Je t’emmène chez la vieille Wazana qui est la femme du pasteur, elle pourra t’aider.
Ils marchèrent longtemps.
— C’est ici, dit-il en désignant un vieux temple. Je te laisse et je te souhaite bonne chance.
— Merci, dit Wanakat.
Il entra et vit une vieille femme aux cheveux blancs. Elle avait des yeux malicieux, un nez camus et des mains noueuses. Après avoir tout raconté, Wanakat se tut et laissa parler la vieille.
— Je veux bien t’aider mais malheureusement je ne pourrais t’accompagner car le chemin est périlleux. Le cocotier bibiche se trouve au sommet de la falaise de Lakonyi. On raconte que ce cocotier est vivant, qu’il s’amuse à disparaître. Tu le reconnaîtras facilement : il a un tronc qui se sépare et ses noix sont énormes. Mais tu as un autre problème bien plus grave : ce lieu est le repaire des Wananathin. Ce sont des femmes de grande taille qui dévorent les voyageurs imprudents. Regarde, je te confie ces objets qui t’aideront dans ton périple. Ce casse-tête a appartenu à l’un des mes ancêtres. Il s’appelait Sissiwanyalo et c’était un grand guerrier. Quant à ces plantes séchées, elles te permettront en cas de besoin d’invoquer les esprits de mon clan. Ils pourront te venir en aide. Tu verras qu’ils sont assez particuliers. Je dois maintenant te laisser. Que Dieu t’assiste dans tes épreuves mon garçon !
La vieille lui laissa le casse-tête et les plantes magiques puis s’en alla. Wanakat la remercia et partit. Il demanda à quelques personnes où se trouvait la falaise de Lakonyi. Quelques heures plus tard, il la trouva enfin et commença péniblement son ascension.
A mi-parcours, il fut pris de vertige et il fut tenté de rebrousser chemin mais un pigeon vert lui apparut et à sa grande surprise, lui glissa quelques mots à l’oreille :
The xei kö ngo trojë !
Il avait reconnu cette voix grave et apaisante. C’était celle de Dadabé, son grand-père. Une fois de plus, ses encouragements lui donnèrent confiance et il reprit sa montée avec plus de vigueur. Le soleil avait déjà disparu lorsqu’il arriva au sommet. Wanakat était épuisé et affamé. Contemplant la nuit étoilée, il s’endormit aussitôt, laissant échapper de sa besace en pandanus deux feuilles séchées. Il fut réveillé au beau milieu de la nuit, par ce qui semblait être une dispute. Il découvrit deux petits êtres aux oreilles pointues qui se chamaillaient copieusement.
— Tu n’en fais qu’à ta tête. Je t’avais dit de l’attacher. Quel idiot, tu fais !
— Et voilà, c’est encore de ma faute. Je pensais que tu l’avais assommé ce rat.
On aurait dit des petits lutins. Ils étaient habillés d’un pagne, avec un gros collier de coquillages sur le cou.
— Et voilà. Tu l’as réveillé ! dit celui qui semblait être le plus âgé. Tu excuseras mon jeune frère. Il a laissé échapper notre dîner. Nous nous contenterons de ces petites ignames grillées. Tu as faim ?
— Je suis affamé. Mais dites-moi, qui êtes-vous ?
— Comment ? Wazana ne t’a pas parlé de nous. Quelle ingrate ! Ah ! Depuis qu’elle s’est mariée avec ce pasteur… Nous sommes les esprits protecteurs de son clan.
— Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur les Wananathin ?
— Ce sont d’horribles monstres. La légende raconte qu’elles appartenaient à un ancien clan du district de Lössi. Elles ont refusé l’arrivée de la religion et ont été bannies par la grande chefferie Boula. Depuis elles rôdent dans cette partie du territoire et attrapent leurs victimes avec leurs seins qui pendent. Elles ont de longs cheveux et portent souvent leurs enfants à l’envers.
— Comment puis-je les vaincre ? demanda le jeune homme visiblement inquiet.
— Sers-toi du casse-tête de Sissiwanyalo pour les tuer mais tu dois absolument éviter d’être blessé par elles car leurs seins et leurs griffes sont empoisonnées. Mange maintenant et repose-toi, tu auras une longue journée demain.
Wanakat ne se fit pas prier. Il ne mit pas longtemps à se rendormir mais cette nuit-là, son sommeil fut agité par de nombreux cauchemars. Le lendemain matin, il se réveilla frais et dispos. Ses mystérieux amis avaient disparu. Il vit deux feuilles séchées près de la besace, où il les remit rapidement. Et notre héros reprit sa route, avec l’espoir de trouver enfin le fameux cocotier. Il suivait le bord de la falaise depuis un certain temps, quand il entendit soudain une drôle de petite voix :
— Qui va là ? Qui va là ?
— C’est moi, Wanakat. Mais où êtes-vous ? Je ne vois personne…
— Mais où êtes-vous ? Je ne vois personne… répéta étrangement la voix.
Et à chaque fois que Wanakat disait une parole, la voix la répétait, comme si un petit enfant jouait avec lui, caché derrière un arbre.
Wanakat commençait à s’impatienter, quand soudain, une forme apparut devant lui.
Mais ce n’était pas un enfant. C’était une très vieille femme, de grande taille, aux longs cheveux blancs et aux seins qui pendaient jusqu‘à terre. Dans ses bras, elle portait un jeune enfant qu’elle tenait par les pieds. Une Wananathin ! Wanakat se crut perdu.
Il tenta tout d’abord de s’enfuir mais déjà les seins du monstre se rapprochaient dangereusement de lui. Immédiatement, il prit le casse-tête et assena un formidable coup sur une des ces étranges mamelles. Il ne put cependant éviter le coup de griffe de l’enfant. Puis les deux êtres maléfiques disparurent mystérieusement dans la forêt.
Se sentant perdu, Wanakat tira rapidement de sa besace quelques feuilles mais n’eut pas le temps de les mâcher car il s’évanouit aussitôt.
De nouveau, un de ces nouveaux alliés se matérialisa et lui prépara une décoction qu’il appliqua soigneusement sur la plaie. Le lutin veilla sur notre jeune héros pendant des heures. Wanakat se réveilla et découvrit avec stupeur que sa plaie était complètement guérie. Il se remit en route.
Au bout d’un kilomètre, il aperçut un cocotier qui correspondait à la description du cocotier bibiche. Mais celui-ci avait un comportement très étrange. Il se tortillait et sautillait comme un être facétieux. Il lui arrivait même de disparaître puis de réapparaître à divers endroits. Wanakat comprit qu’il n’était pas encore au bout de sa peine. A chaque fois qu’il s’approchait, l’étrange cocotier disparaissait et en profitait également pour lui donner quelques claques avec ses palmes. Le jeune homme désespéré, ne voyait aucune issue à cette situation. Il pensa alors à la dernière parole de la vieille Wazana. Il se mit à genoux et pria ce nouveau Dieu qu’il ne connaissait pas encore.
Il ressentit brusquement des picotements dans les yeux et s’aperçut qu’il distinguait nettement le cocotier. Wanakat tenta de s’approcher de nouveau mais son étrange adversaire lui lançait différents objets qu’il trouvait à sa portée. Le jeune homme esquiva un à un les différents projectiles puis avec ruse, accula cet être malicieux au bord de la falaise. Ne trouvant plus rien à portée de palmes, le cocotier décrocha un de ces cocos et le projeta sur notre héros, qui réussit à l’éviter. C’est exactement ce qu’attendait Wanakat. Il récupéra ce coco et remercia son propriétaire avec un large sourire.
— Merci, mon ami et à bientôt !
Il se mit aussitôt à la recherche d’un grand banian, il lui fallait se rendre dans le Wetr pour récupérer un nouvel ingrédient. Une rapide recherche permit à l’œil aguerri de Wanakat de repérer un énorme banian. Il plongea au cœur de ses racines et toucha sa pagaie magique. Il tomba, inconscient pour se réveiller quelques instants plus tard dans un enchevêtrement de racines d’un banian qu’il savait se trouver dans le district du Wetr.
ECART
Chapitre 6 | Hnaizianu – Lifou
L’igname serpent
Dans un bruit sourd de feuillages accompagné d’un souffle de vent frais, Wanakat sortit avec la pagaie dans la main, des racines géantes de son arbre de transport. Il était épuisé, essoufflé par ce long voyage fascinant mais dangereux, et son sac commençait à être lourd ! Il pensait déjà à sa nouvelle aventure qui s’annonçait difficile puisqu’il allait devoir déterrer l’igname-serpent.
Le jeune homme marcha environ une heure dans la forêt sèche de Wanaham qui était composée de gaïacs, de hmetrewen, de flamboyants et de ces terribles lantanas qui lui griffaient les jambes.
Enfin, Wanakat arriva sur une route caillouteuse qui le mena jusqu’à la tribu voisine, Hnathalo. A mi-chemin, il rencontra deux jeunes hommes qui portaient une barre à mine et un couteau. Arrivé à leur hauteur, l’aventurier engagea la conversation par des gestes et les rares mots de Drehu qu’il connaissait :
— Bozu së ! commença Wanakat.
— Bozu, eö a tro ïe ? répondirent les deux jeunes hommes en lui serrant la main.
— Je ne comprends pas ce que vous dites mais vous pouvez peut-être m’aider.
— Oui, d’accord mais comment t’appelles-tu ?
— Mon nom est Wanakat, je viens d’Ouvéa et mon grand-père m’a envoyé pour aller à la grande chefferie.
— Nous allons t’y conduire, proposèrent-ils en marchant. Nous sommes Thelemel et Ünatr, nous habitons cette tribu.
Devant la chefferie, un homme de grande taille, barbu, vêtu d’une chemise colorée et d’un manou noué autour de la taille, attendait.
— Bonjour Wanakat, bienvenue dans le district du Wetr. Nous savions que tu devais passer venir nous rendre visite car j’ai eu une vision de ton grand-père qui m’a tout expliqué.
— Bonjour, je viens vous présenter une coutume pour que vous m’indiquiez le lieu où se trouve l’igname–serpent.
— Je suis le porte-parole du grand chef, suis-moi dans la grande case.
Wanakat s’agenouilla et lui demanda la permission de prendre l’igname-serpent pour sauver son île. Soulagé d’avoir présenté son geste coutumier, le jeune voyageur était tout de même très impressionné par le volume, la grandeur de cette case. Les chambranles fixés à la porte étaient sculptés de symboles ancestraux représentants les gardiens du lieu et elle était divisée en deux parties, celle de gauche pour le grand chef et l’autre pour les visiteurs. Mais ce qui impressionna le plus Wanakat était la hauteur et la grosseur du poteau central ainsi que les poteaux du pourtour, eux aussi ornés, qui montraient tous les sujets du grand chef qui avaient participé à la construction.
Quelques instants plus tard, ils sortirent et le porte-parole leur donna les derniers conseils :
— Thelemel et Ünatr vont t’accompagner dans ta mission. Le champ se trouve aux falaises. Sur ton chemin, tu trouveras des pièges à rats et tu mettras ces bêtes dans un sac.
— Mais pourquoi faire ?
— Ces rats serviront de repas à la buse géante, gardienne du lieu sacré, et vous profiterez alors de vite déterrer l’igname-serpent.
— Je vous remercie, conclut Wanakat en s’éloignant.
Tous les trois se dirigèrent derrière la tribu, en direction des falaises du bord de mer.
Wanakat commençait à sentir la faim et comme ils devaient prendre des forces, ils mangèrent sur la route quelques fruits : des papayes, des bananes, des goyaves avec des cannes à sucre et des cocos verts pour se désaltérer.
Plus ils avançaient, et plus un bruit sourd se faisait entendre, la mer tapait sur les immenses rochers. Tout d’un coup, le cri perçant et effrayant de la buse retentit au loin et Wanakat sursauta de peur. Soudain, surgissant de derrière un arbre et montant vers le ciel comme une fusée, l’oiseau gigantesque apparut ! Son envergure était d’environ six mètres et son bec crochu pouvait facilement attraper un homme.
Le jeune homme paniqua, son cœur battait la chamade, il tremblait de tout son corps et pensa tout arrêter car c’était la plus dangereuse aventure de son voyage. Dans un flash rapide, son grand-père Dadabé lui apparut et lui parla :
Mon fils, sois courageux, il ne te reste que quelques ingrédients à retrouver, sois fort et pense à ton île ! Je compte sur toi !
Quelques mètres plus loin, ils virent un piège à rats et mirent l’animal prisonnier dans le sac. Ils renouvelèrent l’opération une vingtaine de fois. Puis ils arrivèrent dans une clairière où se trouvait un champ bien entretenu dont les feuilles des tubercules étaient bien vertes et intactes.
— Parmi ces ignames laquelle est l’igname serpent ? Questionna Wanakat.
— Elle se situe devant toi, au centre du champ, sa tige grimpe au gaïac, répondit Ünatr.
— Les feuilles sont mauves, précisa Thelemel, et plus grandes que celle des autres plants.
L’oiseau noir apparut derrière eux, volant en altitude et formant de grands cercles. Un cri aigu et strident retentit ! Les trois garçons se bouchèrent les oreilles avec leurs mains et prirent leurs jambes à leur cou pour se mettre à l’abri sous les arbres en bordure de champ.
Ünatr observa autour de lui et vit un arbre appelé öleng, à la sève jaunâtre, dont il arracha quelques morceaux d’écorce qu’il écrasa ensuite.
Pendant ce temps, Thelemel et Wanakat s’occupaient des rats qu’ils égorgèrent afin d’y glisser cette plante paralysante, anesthésiante. Ünatr, en homme courageux, partit déposer les rats empoisonnés sur un rocher en hauteur pour que la gardienne s’éloigne et s’en empiffre.
La buse, aux yeux rouges et à la vue très fine fonça à toute vitesse sur les proies. Sans tarder, les trois compagnons commencèrent à déterrer la fameuse igname, coupèrent l’immense liane et plantèrent dans un mouvement régulier la lourde barre à mine dans la terre fertile. Soudain, l’ombre de la buse géante surgit au dessus d’eux laissant apparaître ses griffes acérées, pointues et coupantes comme les lames d’un couteau. Cependant, à quelques mètres de là, elle fit des mouvements circulaires et tomba à pic sur les arbres dans un bruit fracassant.
Après avoir creusé plusieurs heures sous le soleil brûlant, ils découvrirent le tubercule unique et sacré qui mesurait environ cinq mètres, avait une forme allongée et tordue, la peau marron et lisse.
Thelemel avertit ses compagnons :
— Attention, si nous la cassons, il nous arrivera un malheur, nous a informé le porte-parole.
— Quel malheur ?
— Elle se transformera en serpents qui se multiplieront à une vitesse folle, affirma Ünatr.
La dernière opération était la plus délicate car il fallait sortir, soulever l’igname de terre sans la casser. Une fois délivrée, ils la transportèrent en bordure de champ, à l’ombre pour se protéger du soleil et de l’oiseau. Rapidement, les garçons coupèrent des feuilles de cocotier, et trois cocos pour se rafraîchir, ils tressèrent un panier dont ils enveloppèrent l’igname.
Avant que la buse se réveille, ils filèrent le plus vite possible loin des falaises.
Tout à coup, un cri terrifiant résonna aux alentours, amplifié par l’écho des falaises. Ils en eurent la chair de poule parce qu’ils comprirent alors que la gardienne venait de se réveiller et était furieuse d’apprendre que le fameux tubercule avait disparu.
Les trois aventuriers reprirent la route en sens inverse jusqu’à Wanaham pour retrouver le Banian à Grande Vitesse.
Arrivés à destination, ils essayèrent de faire rentrer l’igname entre les racines, près du tronc. Malheureusement, celle-ci était trop énorme, la tête dépassée de l’arbre et risquait de se casser durant le voyage ou bien la téléportation pouvait échouer !
— Comment vais-je faire pour repartir ? Et en plus le temps presse ! Déclara Wanakat en soupirant, désespéré car il échouait devant l’épreuve la plus facile après avoir réussi le plus difficile !
— Hé ! J’ai une idée, révéla Ünatr, il y a un gigantesque banian à Chépénéhé !
— Mais c’est loin et nous sommes à pied ! protesta Thelemel.
— J’ai un talisman de mon grand-père, je l’ai déjà utilisé à Maré et il m’a sauvé la vie, affirma Wanakat.
Peut être que cette fois-ci encore ça va fonctionner.
— Je vais t’expliquer où se trouve ce banian : il est sur les hauteurs de la tribu, tu le reconnaîtras à sa taille et au trois cocotiers qui l’entourent.
— Nous te souhaitons bonne chance, tu as été courageux et formidable, et nous espérons te revoir un jour.
— Merci beaucoup, je vous suis très reconnaissant pour votre aide et votre amitié, termina le héros.
Avec ses deux mains, il serra très fort le talisman, de la forme d’un coquillage, il ferma les yeux et se concentra sur son vœu. Et soudain, il se sentit tout léger comme une plume emportée par le vent. Dans son rêve, il flottait, entouré d’un nuage blanc comme s’il était au Paradis.
Tout à coup, une goutte de pluie tomba sur son front et il se réveilla en sursautant. Epoustouflé par ce miracle inattendu, il vit les trois cocotiers qui encerclaient le banian géant. Content, il craignit portant que l’igname ne soit pas avec lui mais en se retournant il fut soulagé de la voir.
En plus, il se sentait en pleine forme comme s’il avait dormi une nuit entière. Il se dépêcha car la nuit commençait déjà à tomber, il sortit la pagaie magique de son sac, prit l’igname qu’il plaça dans un large trou semblable à un tunnel, en la posant délicatement. Un grondement sourd et grave retentit, ça y est il partait, très heureux de rentrer chez lui, enfin !
ECART
Chapitre 7 | Eben Eza – Ouvéa
Les plumes d’or de la perruche
Wanakat réapparut enfin dans son île natale, se glissa agilement à travers les racines du banian, se trempa dans l’eau claire et sortit de la grotte de Hulup, sa tribu. Il vit des arbres qui bougeaient, avec de gigantesques branches toutes noires. Il serrait très fort les dents. Il avait peur. Il ne rencontrait personne mais il continua à marcher avec courage pendant des kilomètres dans la forêt sombre. Enfin, des hommes qui ramassaient du bois, le renseignèrent :
— Oui, oui, j’ai déjà vu cette perruche au dessus de l’aérodrome. Et si le temps est beau, tu peux voir la plume d’or qui brille dans le ciel.
— Mais qu’est ce qu’il te dit, lui ? C’est l’avion des îles ! Jaune avec les dessins anciens des bambous ! Une perruche, l’avion ? Une grosse perruche à moteur ! Ah ! Ah ! Ah !
— Oh ! Arrêtez les deux, le petit a besoin de savoir ! Tu vois pas les moustiques ?
— Bon ! Va à Whanghe, c’est là !
— Elle est pas à Whanghé, elle est à Hnimaha, c’est sûr.
— Mais, non à Wakatr !
— Mon cousin l’a vu à Ognat!
— Non à Guei !
— Bon à Guei, ou à Ognat, ou peut-être à Mouli…Mon fils, je ne sais pas où !
Fatigué, découragé, Wanakat passa tout droit sur la route qui mène à son grand père.
Perché sur un piège en noix de coco, un crabe de cocotier tenait dans ses pinces un message de son grand père :
Tu ne dois pas retourner à la tribu avant que le fléau ne soit parti.
Wanakat ne put s’empêcher de crier :
— Mais je ne sais pas ou elle est, et j’ai faim !
Il continua à lire :
Tu trouveras la perruche quand tu auras les deux indices.
Un vieil homme lui dit :
— Des perruches ? Il y en a partout dans le Nord, autant que les papayes bien jaunes dont il ne nous reste que la peau ! Ce sont de belles farceuses avec leurs cris de commère !
Il réfléchit un moment en décortiquant une noix de coco qu’il lui donna à boire.
— Je vais t’aider parce qu’ici, nous ne savons plus que faire… C’est à devenir fou ! Les moustiques ont envahi l’île. Il y en a partout… Je t’accompagne.
Ils regardèrent bien, aperçurent beaucoup de perruches, des vertes, jaunes et rouges, mais pas celle qu’ils cherchaient. Ils étaient très déçus, mais pas loin de la grotte, ils découvrirent une lettre dans le creux d’un rocher : l’indice !
La femelle de l’aigle amoureux vit sur la falaise de Lékine
Wanakat ne comprenait pas du tout ce que cela voulait dire, mais il se dirigea à nouveau vers le Sud, fatigué mais décidé.
Sur le bord de la route une vieille femme, assise sous un pied de letchi, apparut. Elle tressait une natte. Il était très étonné, car c’était la première fois qu’il la voyait dans la tribu de sa mère.
— Bonjour mon enfant. Toutes les vieilles et les vieux te connaissent, car tu es le petit fils de Dadabé. Tu cherches une plume, n’est ce pas ?
— Comment le savez-vous ?
— Je suis une voyante.
— Pouvez-vous alors m’indiquer comment la trouver ?
— Ecoute-moi, mon enfant. Tu vas devoir passer une épreuve. J’espère que tu es courageux.
— Je veux bien. Mais où ? Je ne sais pas où aller.
— Tu dois d’abord aller là-bas, là, tout près, à Wadrilla. Devant le caillou rouge du temple, tu poseras deux ou trois de mes cheveux, et tu diras tout doucement comme dans un souffle: Baï Cica, Baï cica. Juste à ce moment, tu apercevras alors près des escaliers des traces de pas bleus. Mais tu dois faire vite car elles disparaissent aussitôt.
En mangeant avec un grand plaisir les letchis, il arriva à Wadrilla. Toutes les portes étaient fermées. Tous les gens circulaient avec leurs anti-moustiques (une boîte de conserve, un fil de fer pour la tenir, et du bois de santal brûlant à l’intérieur). On reconnaissait bien les enfants aux fumerolles bondissantes. Comme le village sentait bon ! Mais les tontons n’étaient pas contents :
— Tu cherches l’indice pour trouver la plume d’or ? Je crois qu’il s’est fait dévorer par les moustiques !
— Regarde, la chefferie est noire, entièrement recouverte par ces maudites bestioles ! Ca grouille !
— J’ai pas pu faire le deuil de mon fils, car les moustiques nous en empêchent !
Près du temple, il suivit alors les traces bleues, et rencontra une petite fille qui se tordait dans tous les sens.
— Qu’est ce que tu as ? Et qu’est ce que tu fais ici toute seule dans la forêt ?
— Je voulais aller chercher la plume d’or… et tous ces moustiques…
— Mais comment le sais-tu ?
— J’ai entendu la conversation d’une vieille.
— Reste tranquille. Tu ne dois pas bouger : c’est dangereux.
— Oui, mais moi je sais aussi quelque chose. J’ai aussi entendu : Quand tu suivras l’aigle qui est à Tréu, tu trouveras l’indice. Tu m’emmènes ?
— Non, il ne faut pas. Demain.
Seul, sur le sentier de la forêt de Wagei, vers le cap Saint Hilaire, il entendit un cri d’aigle, ce qui le rassura. Mais quelle fut sa surprise, quand il aperçut, assis au bord de la falaise, son grand-père contemplant l’océan qui grondait tout en bas.
— Je t’attendais. Je t’ai présenté à l’océan, et j’ai parlé à l’aigle : il plane sur le rocher : c’est bon signe. Il va t’aider. Il est inséparable d’une femelle à Lékine, et il va l’appeler.
Ils parlèrent un peu, contents de se revoir. Puis avec fierté, il lui remit tous les ingrédients.
— C’est bien, mon petit, tu vas nous sauver. Il ne te manque plus que la plume d’or…
Mais…Mais… MAIS NON ! Où est le poil blanc de la roussette ? Je ne le trouve pas, je ne le trouve pas ! Bon, d’abord la perruche, après on verra. L’Evangile est bien parti d’Ouvéa à Fayawé pour être transmis à Parawié à Houaïlou ! Il y a un lien, un chemin ! Et oui, ça va marcher ! Mais dépêche-toi, les moustiques nous dévorent ! C’est horrible ! Les gens se plaignent ! Tu dois aller la chercher au Sud, dans un petit îlot où habitent une trentaine de personnes. Tu dois attendre le porte-parole et passer très facilement à marée basse. Mais attention ! Ne traverse surtout pas tout seul à cause des gardiens de Fayawa. Des serpents à quatre têtes la surveillent. Prends ces feuilles déjà préparées : Ce médicament te rendra fort. Voilà ! N’oublie pas. Je te remets ce petit geste que tu donneras à ton arrivée. Bon courage !
Il s’approcha d’un pêcheur, qui allait lancer l’épervier.
— Qui es-tu? D’où viens-tu ? Que viens-tu faire ici ?
— Je suis Wanakat, je viens de Hulup et je viens vous demander de m’indiquer l’endroit de la perruche d’or.
— Elle se situe dans la quatrième grotte. Mais depuis que le monstre est venu, on n’y va plus.
— Quel monstre ?
— Je ne sais pas. Je me souviens d’une plume d’or.
— J’ai autre chose à vous demander. Connaitriez-vous aussi un chasseur de roussette ?
— Ah, ça ! C’est pas pareil ! Rien à voir !
Il l’accompagna chez son ami.
— Monsieur, il me faut à tout prix trois poils de roussette blancs.
— Mais, il raconte n’importe quoi ce petit !
— Tu te moques ! Mais tu sais, l’autre jour, j’ai tiré sur une roussette qui mangeait une papaye et j’ai touché la sève blanche qui a éclaboussé ses poils ! Et ils étaient blancs, c’est vrai !
— Oui, mais non, c’est pas ça.
Wanakat se dépêcha de repartir car la marée montait; il était en retard.
Il remit son geste au porte-parole qui l’attendait, mais il n’eut le choix que de traverser la mer en nageant jusqu’aux falaises. Le serpent n’était pas venu. Il grimpa tout en haut, avec des cordes, mais tout à coup la perruche apparut et le fit tomber. Il réussit heureusement à s’accrocher à la paroi.
Il se rappela alors de ces paroles :
Attention, il y a un gardien dans cette grotte : c’est une perruche. Il ne faut pas lui faire de mal, ne pas faire de bruit, car elle reviendrait méchante et t’attaquerait. Attends qu’elle s’endorme; tu en profiteras pour lui tirer une petite plume, mais sors vite et quand tu redescendras, ne perds surtout pas la plume. Ensuite, si tu la trempes dans la mer, quand tu la ressortiras, elle sera en or.
Wanakat, aperçut la grotte et monta, monta encore. Il se heurta à un grand homme costaud, barbu, avec une espèce de sifflet autour du cou :
— Ah! Je t’attendais avec impatience
— Bozu, je m’appelle Wanakat
— Oui, je sais.
Il sortit de son coin, prit son sifflet et souffla. Soudain, un énorme oiseau atterrit sur un rocher.
— Wanakat, tu vas monter sur Iell; c’est le nom de mon oiseau. Monte. Tiens le sifflet ; si ça se passe mal, tu siffles très fort
— Ok !
— Dépêche-toi, il faudra arriver à temps.
— Au revoir et bonne chance !
Iell l’amena aux falaises. Il vola, vola, arriva au nid de la perruche, qui n’était pas là. Il vit la plume d’or ; il la prit. Mais soudain, le bel oiseau revint de son voyage de Houaïlou, où elle allait souvent car elle raffolait des roussettes. Avec son bec crochu, elle voulut assommer Wanakat, mais ce garçon, vraiment agile, esquiva le coup, et eut le temps de voir un poil de roussette blanche. Il siffla très fort.
Wanakat aperçut deux aigles foncer droit sur lui. Il crut qu’ils venaient pour l’attaquer, en même temps que la perruche. Mais les deux oiseaux inséparables, le majestueux mâle de Wagei suivi de sa femelle de Lékine allaient aider l’enfant.
Ils tournoyèrent au dessus du petit oiseau pour le mettre en garde, rapprochèrent leurs cercles petit à petit pour l’isoler du petit garçon et le bousculèrent. La femelle heurta le bec de la perruche qui laissa tomber les cinq poils de roussette blanche. Wanakat en ramassa trois, comme le lui avait dit son grand père. Les oiseaux continuèrent à l’intimider en tournant encore. Wanakat aperçut alors une plume qui tombait doucement comme une feuille légère dans la mer. Il vit la plume se transformer et changer progressivement de couleur ; il nagea à toute vitesse pour l’atteindre, la prit doucement dans sa main : il tenait bien la plume d’or. Il avait réussi !
Mais Wanakat laissa tomber la plume. Il siffla le signal de détresse et demanda à l’homme costaud de parler aux oiseaux.
— Aidez-moi à retrouver la plume. Je l’ai perdue. Je suis en retard, la marée monte, et le serpent gardien va arriver
— Là, là, je la vois !
Les deux aigles atterrirent sur un rocher près de lui, avec une algue.
— Prends-la comme le vieux Dadabé l’a enseigné. Mange-la.
Soudain, il n’arriva plus à respirer. Il sauta dans l’eau.
— Mais, je respire dans l’eau !
Il nagea au plus profond de la mer, au dessus des coraux multicolores et des anémones qui dansaient, aperçut la plume qui brillait dans un trou près du serpent blanc.
Il la saisit et remonta vite. Mais le serpent le vit, et le suivit en ondulant. Wanakat jaillit de l’eau. Il avait peur. Il siffla. Le grand aigle tendit ses pattes, attrapa la tête du serpent, vola, vola très haut et lâcha le serpent blanc sur le sable : la légende ne le dit pas mais peut-être, depuis ce jour là, le sable de Mouli est devenu le plus blanc du monde.
Après avoir remercié ses deux amis les inséparables, il retourna chez le vieux Dadabe qui l’attendait. Rayonnants, le grand père et le petit fils se regardaient, plus unis que jamais, heureux d’être ensemble à nouveau, après toutes ces épreuves.
La tribu est enfin débarrassée du fléau des moustiques, et a retrouvé son calme et sa joie de vivre. Wanakat est fier d’avoir réussi sa mission, et d’avoir bravé tous les obstacles qui se sont présentés à lui. En quelques jours, il a grandi, mûri. Il est passé de l’enfance à l’adolescence, et a acquis assez de force et de sagesse pour suivre le chemin qui le mènera vers le monde des adultes.
Dadabé, lui, se sent apaisé, serein. Son petit-fils s’est montré digne de sa confiance. Il sait désormais qu’il pourra compter sur lui pour assurer sa succession. Le temps est venu de lui transmettre son savoir, ses secrets de vie, et le fruit de son expérience de vieil homme sage. Il pourra ainsi terminer son existence en paix avec lui-même, ayant accompli son devoir d’Ancien.